Succulentes, le design végétal

Succulentes, le design végétal

L’eau est indispensable à la vie. C’est d’ailleurs dans les océans primitifs qu’elle est apparue. Puis, après trois milliards d’années, les premières plantes terrestres se sont extraites de l’environnement marin. C’était il y a 440 millions d’années. Afin de devenir de moins en moins dépendant de ces besoins en eau, la sélection naturelle n’a eu de cesse d’innover en créant des organes spécifiques, permettant aux plantes de croître ou de se reproduire hors du milieu aquatique. Un système racinaire profond et des vaisseaux conducteurs efficaces ont été créés pour capter le maximum d’eau.

Un épiderme protecteur étanche parsemé de stomates assurant les échanges gazeux s’est constitué. Pour la reproduction sexuée, le voyage du gamète mâle vers l’ovule s’est fait via le grain de pollen, organe petit et volant, et non plus en nageant. Les plantes à fleurs sont les plus indépendantes vis-à-vis de l’eau, aussi bien dans leurs modes de croissance végétative que dans leurs mécanismes de reproduction sexuée.

Ces plantes à fleurs, appelées aussi Angiospermes, composent la grande majorité des paysages des régions froides à équatoriales. Toutes les plantes de ce livre appartiennent à ce vaste groupe constitué de plusieurs centaines de milliers d’espèces, rassemblées en plus de 400 familles.
Sur tous les continents, dans la plupart des paysages du monde, montagnes, déserts, forêts sèches, bords de mer, milieux rocheux, des plantes, que l’on nomme grasses ou succulentes, ont surmonté des stress hydriques violents. Ces végétaux produisent un suc, liquide visqueux abondant dans les tissus de réserves, qui leur permet de stocker une grande quantité d’eau et de réserves nutritives.

Comme les végétaux n’ont pas la possibilité de se mouvoir, ils doivent trouver l’eau dont ils ont besoin dans leur environnement proche, le plus souvent dans le sol. Dans certains cas, l’eau pluviale est en trop faible quantité sur l’année. Parfois, elle est mal répartie et les nombreux mois sans eau constituent une contrainte écologique fatale pour de nombreuses plantes. Dans
d’autres cas, il pleut suffisamment, mais le sol est poreux, sableux, rocheux, ou caillouteux et l’eau n’y reste pas. Parfois, c’est la présence d’une forte quantité de sel dans le sol qui rend complexe la possibilité pour la racine d’aspirer l’eau du sol. Des plantes comme les salicornes, et d’autres végétaux des bords de mer ont souvent une tendance à la succulence.
Les fortes chaleurs ont généralement pour conséquence d’augmenter les besoins en eau du végétal pour assurer sa régulation thermique. Plus il fait chaud, plus l’air est sec, et plus l’eau perdue par évaporation et par transpiration est importante.

L’émergence de la succulence au cours de l’évolution est la résultante d’un ou de plusieurs de ces constats. Ceci explique par exemple, que nos montagnes françaises, pourtant bien pourvu en eau de pluie et ne subissant pas les très fortes chaleurs des régions tropicales, ont vu l’apparition de plantes grasses (joubarbes, orpins) sur les rochers de l’étage alpin et subalpin.
L’épiderme protecteur, formant un genre de carapace, pose de nombreux problèmes physiologiques : la plante doit être suffisamment rigide pour garder sa forme et supporter la déshydratation ; elle doit pouvoir réguler sa température interne, sans pour autant transpirer trop et perdre une grande quantité d’eau ; elle doit aussi assurer, dans la journée, sa photosynthèse et produire les substances élaborées dont elle a besoin, sans pour autant ouvrir
fortement ses stomates et donc se dessécher. Pour répondre à ces contraintes, la quasi-totalité des plantes succulentes disposent d’un mécanisme particulier d’assimilation du carbone ; le métabolisme acide crassulacéen, ou CAM. La nuit, les stomates, peu nombreux, s’ouvrent pour assurer les échanges gazeux. Ceci est indispensable à l’activité biochimique de la plante. Via des phénomènes chimiques complexes, dans lequel l’acide malique intervient, la photosynthèse se produit en deux étapes ; une première le jour, profitant des rayons lumineux et une seconde, la nuit, productrice des glucides nécessaire à la croissance végétale. La photosynthèse se produit
parfois dans les feuilles, si elles existent, mais plus souvent dans les tiges ou le tronc. Certaines plantes épiphytes, comme les Tillandsia aux feuillages grisâtres, subissant de forts stress hydriques, utilisent ce même mécanisme d’assimilation du carbone.

Au niveaux morphologique et écologique, de très nombreuses adaptations sont liées à la succulence ; l’enfouissement du végétal dans le sol, le renflement des tiges et du tronc, la densité d’épines ou de poils sur les feuilles, les tiges et le tronc. La production d’un système
racinaire très efficace et profond participent à augmenter la quantité d’eau disponible pour la plante.

Fédéric Pautz
Directeur Jardin Botanique de Nancy